Paris: Rue de la Banque , les mal-logés font de la résistance |
Ni SDF ni sans-papiers, ils sont près de 200 à camper à Paris depuis quinze jours pour obtenir un logement décent.
Ils sont toujours là, assis sur des cartons, recouverts par des bâches en plastique, le dos contre le mur et les yeux fixés vers le ciel. Gros nuages. Et s'il pleuvait? "On est habitué maintenant", sourit une jeune fille.
Une centaine d'Africains et de Maghrébins, décidés à poursuivre leur combat pour obtenir un logement décent, "campent" toujours rue de la Banque. Arrivés là le 3 octobre, ils sont toujours aussi nombreux (180) mais les tentes ont été démontées par les forces de l’ordre. Il en reste quinze. Sur chacune d'elles, le nom d’une personnalité ou d’une association solidaire a été agrafé: Joey Starr, Romane Bohringer, Enki Bilal, Tardi, la LCR, Jeudi Noir...
Les militants de Droit au logement (DAL) maraudent constamment. Deux policiers s’avancent dans la rue. Pas besoin d’être un expert de la lecture sur les lèvres pour s’apercevoir qu’ils comptent les présents. "Ils viennent plusieurs fois par jour pour nous faire peur. Mais même sans tentes, on restera là", laisse tomber un "mal-logé". Beaucoup d'internautes se sont insurgés contre cette appellation, l’estimant "politiquement correcte". Elle est pourtant la seule recouvrant la réalité de toutes ces familles: elles disposent de logements insalubres et se battent pour pouvoir en louer des décents.
"On parle avec nos tripes. Et puis rien"
M.Dabo m’interpelle, furieux: "Vous êtes journaliste? Ça ne sert à rien de vous parler." Je me risque à l’interroger sur ses liens avec les commerçants voisins: "Je ne veux pas vous répondre. J’en ai vu passer beaucoup des journalistes. Il y en a même qui filment. Et personne ne parle de nous!"
M. Dabo a l’allure d’un travailleur banal. Il est entouré d’autres mal-logés qui, eux aussi, sont lassés par un ballet médiatique qu'ils jugent inefficace. Fathia s’indigne: "On leur raconte notre souffrance, on parle avec nos tripes. Et puis rien."
Peu médiatisée, l’action du DAL rue de la Banque? Un autre nuance: "Le problème, c’est que vous ne comprenez rien. Vous dites sans-papiers. On a tous des papiers, on travaille la journée." Hors de lui, M.Dabo me tend la photocopie d’une page de journal. Son visage en gros plan illustre un article sur la journée de la misère: "Je ne suis pas la misère. Je bosse à la SNCF! Je gagne un salaire et je veux juste trouver un logement propre. Là, je paye 450 euros pour un 8 m2!"
Je retrouve Nadia, interviewée il y a dix jours par Rue89. Déterminée, elle ne vacillera pas. Elle émet tout juste un soupir pour déplorer qu’il "ne se passe rien" du côté du ministère du Logement:
Il est 18 heures. Les passants convergent. Beaucoup accélèrent le pas. Dans les cafés, certains refusent de répondre aux questions et savourent leur très tendance "Je ne fais pas de commentaire". Le patron du café jouxtant le bâtiment occupé par le Ministère de la crise du logement affirme qu’il n’est pas gêné par la présence de la centaine de personnes dehors. Une riveraine explique qu’elle n’a constaté ni saleté ni nuisance sonore: "C’est ce que je redoutais mais ils sont très bien organisés. A partir de 22h30, c'est le silence le plus complet."
"Le policier m'a couvert de coups de pied"
Sauf quand la police intervient. A des heures discrètes, comme le 11 octobre. Vers 5 heures, les CRS sont intervenus de façon plutôt musclée. Le porte-parole du DAL, Jean-Baptiste Eyrault, a été violemment embarqué. Une femme enceinte a été conduite à l'hôpital. Une autre se plaint toujours de la douleur que lui ont causé des coups de pieds reçus au mollet.
"Regardez". Fathia relève son jean et exhibe douloureusement un bandage enserrant sa cheville déformée: "J'étais assise. Un policier m'a demandé plusieurs fois de me lever. J'ai fait semblant d'être sourde. Il m'a forcé à me lever et m'a couvert de coups de pied. Je n'ai rien senti sur le moment."
Elle vit en France depuis trente-six ans. Ses enfants y sont nés. Aujourd'hui, sa fille dort souvent "chez des copines" parce qu'il n'y a pas assez de place dans la chambre qu'elle loue dans son hôtel-résidence: "J'ai écrit une lettre à Nicolas Sarkozy et à Bertrand Delanoë. Vous trouvez ça normal? C'est ça la France?" Elle pleure parce qu'au coeur de Paris, des travailleurs dorment dehors.
"Madame!" Je me retourne. "Madame, il fait froid." C'est un enfant qui m'interpelle.
Zineb Dryef (Rue89), le 19 octobre 2007