Bagnolet : Socrate et Abracadabra


Infos sur l'histoire du squat Socrate, à Bagnolet, expulsé il y a quelques mois maintenant... en ligne sur http://cettesemaine.free.fr/cs84socrate.html extrait de la revue Cette Semaine #84

Socrate refuse le dialogue

“Fondé au début du siècle par les philosophes allemands Leonard Nelsen et Gustav Heckman, inspiré de Platon et de Kant, le Dialogue Socratique se présente comme une pratique philosophique citoyenne, où un petit groupe d’individus dialoguent ensemble plusieurs heures afin de creuser une question fondamentale d’intérêt général et y trouver une réponse” Oscar Brenifier, Agora n°8, décembre 2000

Alors que certains squats s’enfoncent dans des tentatives de légalisation 1 ou l’ont obtenue (Duende à Lyon, Tanneries à Dijon), d’autres refusent cette voie.

Lors de l’ouverture du squat d’habitation situé à Bagnolet, il était clair dès le départ entre habitantEs que même l’éventuel procès pour obtenir un maintien prolongé dans les lieux était hors de question et que toute intervention au niveau de l’eau, de l’électri-cité ou même de vigiles du proprio (peut-être la mairie communiste) serait repoussée dans la mesure du possible. La violation volontaire de propriété entraînant rarement une vie sans soucis, le rapport de force avec les ordures qui la défendent était inévitable. La question fut donc plutôt celle des moyens à employer pour résister, en fonction de la volonté des habitantEs et des possibilités du squat, que celle de construire un lieu pérenne avec tout ce que cela comporte nécessairement de compromis avec les pouvoirs. Le squat n’a ainsi jamais été envisagé comme une fin en soi mais plutôt comme une association d’indi-viduEs précaires qui cherchent à se loger collectivement avec une volonté d’autonomie maximale.

Le 21 novembre, le dispositif était en place pour empêcher la Compagnie des Eaux d’ouvrir le trottoir, après plusieurs visites de cette dernière, d’EDF et d’un huissier (voir chronologie ci-contre). A la place des ouvriers, c’est directement un huissier et un serrurier venus relever les noms des habitantEs qui se sont pointés avec la commissaire de Bagnolet et quelques uns de ses sbires. La porte refusant de s’ouvrir à leur passage, ils entreprirent de la forcer. Un jet d’eau fit alors son apparition au niveau de la porte suivi de plusieurs ballons du même liquide et de peinture descendus du ciel pour s’écraser sur leur trognes ébahies. Cela ne les a pas empêchés de rentrer dans la maison à l’aide d’un bélier hydraulique, crottés du goudron encore frais qui se trouvait sur la porte. Les individuEs appréhendéEs (le premier est descendu du grenier menacé par un flingue) furent conduit sous bonne escorte et tous gyrophares allumés au commissariat pour y effectuer une garde-à-vue, personne ne sachant d’où avaient pu provenir les dangereux projectiles. Vers minuit, ce fut le transfert vers le dépôt de Bobigny dans les minuscules cellules du car. Le rapport de synthèse destiné au juge et rédigé par les flics nous désigne comme des “anarchiques extrémistes” (sic). Le lendemain en début d’après-midi, la comparution immédiate est remplacée par une composition pénale et tout le monde sort vers 17 heures. Entre-temps, le squat était saccagé par les keufs et l’eau coupée sous bonne garde après intervention des copains/ines.

Pourtant, il n’est pas dit que l’expulsion de fait opérée par la police le 21 novembre ait raccourci la vie du squat, car ce qui constitue la chair d’un lieu ce sont bien les relations humaines qui se tissent — et se déchirent aussi — et non pas les murs qui les contien-nent. Nous avons construit l’habitation commune pendant un an et demi (ce qui est assez long sur la région parisienne) dans une volonté de créer un maximum de liberté pour chaque individuE (gestion collective réduite au strict minimum) et c’est cette expérience qui est la plus importante.

Force est de constater qu’une certaine radicalité quant au rapport avec les autorités instituées n’engage pourtant en rien le rapport qui peut se nouer à l’intérieur. Ce constat, classique, est que la cohérence est bien plus facile à obtenir vis-à-vis des dominations établies (Etat et ses valets, agression sexiste d’une habitante dans le quartier, solidarité avec d’autres squats ou de copainEs en butte à la police) qu’à l’intérieur. S’il n’y a jamais eu d’illusion entre nous sur le fait de pouvoir être libre dans ce monde — par le squat ou autre chose — ou sur la possibilité éventuelle de ne pas reproduire les rapports sociaux, la voie choisie de partir sur une base individualiste fut une nouveauté.

L’inévitable gestion des (quelques) pièces collectives a laissé plusieurs personnes insatisfaites, mais il n’est pas dit que cela se passerait mieux dans un système de contraintes (type planning de nettoyage ou de courses). Par contre, cette liberté basée sur les rapports inter-individuels, posée non comme solution mais comme possibilité, n’a pas abouti à consolider les rapports de forces établis mais a permis au contraire de les dépasser, dès lors que justement personne n’était liéE à un compromis collectif destiné à maintenir l’unité de façade d’un groupe ou à le faire “avancer”. La libre association fut vécue comme suffisamment intéressante pour que la plupart des habitantEs souhaitent réouvrir ensemble sur cette base.

Le second constat concerne ce que d’aucuns appellent “violence”. Le refus de laisser pénétrer dans le squat les crapules qui contribuent à notre écrasement quotidien et le fait de ne leur balancer que de l’eau et de la peinture, en l’état actuel du rapport du force, ne crée pas de possibilité de rester dans un lieu. Si ces actes n’ont jamais été effectués pour cela (il s’agit bien plus d’une viscérale haine de classe de base), ce n’est certainement pas à l’inverse, en s’écrasant face aux charognes, qu’on pourra un jour non seulement occuper des lieux vides, voire exproprier les bourgeois, mais surtout choisir de vivre où on veut — sans se contenter des restes, les maisons abandonnées — et comme on le désire. La prolongation du rapport de force sur le squat situé non loin où certainEs ont trouvé refuge en témoigne, avec d’une part le même refus de tout dialogue avec mise en pratique et, d’autre part, la réponse claire de l’Etat concrétisée par le retour rapide et direct des keufs pour relever les noms des habitantEs de ce nouveau squat (avec tout le tralala : intervention en nombre avec battes de base-ball, flash-balls, gilets pare-balles et bouclage des alentours).

L’intervention de l’Etat (trente heures de séquestration) contre les habitantEs du squat Socrate, plutôt que de poser la question d’une quelconque “violence” de notre part ou de celle des porcs en uniforme, met à l’inverse en évidence le degré de servitude volontaire dans le rapport social. Le fait que de simples gestes de base comme les nôtres aient pu engendrer une telle disproportion montre que la propriété est autant confortée par le consensus général que par la répression contre celles et ceux qui la bafouent. Il semble loin le temps où des quartiers s’insurgeaient contre la venue de vautours-huissiers et où les bleus ne pouvaient résider et circuler où bon leur semble sans réaction. Et lorsque ces actes de résistance se produisent encore, il est plus que temps de s’en solidariser, de briser ce chacun pour soi dans sa petite propriété 2. C’est ceci qui doit changer ! Plus il y aura d’individuEs insoumisES à leur exploitation, domination, écrasement, contrôle et autres joyeusetés partout dans le monde, plus chacunE sera libre.

Un ex-habitant du 4 rue Socrate

1 Voir Cette Semaine n°80, mai/juin 2000, “Squats : lutter ou se légaliser”, pp. 8-10 2 Bien entendu, la propriété ne se réduit pas à un bâtiment comme les rapports humains (dont hommes/femmes) le montrent par exemple tous les jours, y compris parmi nous.

Epilogue provisoire : Un grand squat est ouvert au 73 rue Orfila (Paris-20e) le 3 janvier 2002. Le dimanche 13, le proprio, les flics et des voisins actifs (l’un d’eux prêtera à ces derniers son local pour qu’ils en fassent leur QG) expulsent les neuf personnes qui s’y trouvent. La porte anti-squat, faisant son office dans le bon sens cette fois, a tenu plus d’une heure face aux coups de meuleuse acharnés, de l’eau est tombée sur le serrurier, les accès furent obstrués d’objets divers et savonnés, les interpelléEs ont fait 1h30 au commissariat, le temps d’un contrôle d’identité. SortiEs menottéEs du squat en traînant derrière eux des sacs d’affaires, certains ont encore réussi à latter le pare-choc d’une voiture et à claquer la valeureuse porte de métal à la face d’un keuf.Ce grand lieu partait sur des bases plus larges que l’habitation, des projets et des complicités commençaient à s’y nouer. On a beau être dimanche, en hiver, présentEs depuis 10 jours (ou 10 semaines, ils s’en foutaient bien) et un petit nombre, à Paris il vaut sans doute mieux être artistes et laisser rentrer tout ce beau monde volontairement. Ce sera sans notre collaboration cette fois-ci encore...

Chronologie sommaire

Squat du 4, rue Socrate (Bagnolet, Seine St Denis)

Ouverture mi-août 2000. Début janvier 2001 : un proprio “autoproclamé” se pointe pour voir le lieu et prétexte d’y avoir laissé des affaires. Refus ferme appuyé d’insultes. Mai 2001 : les flics se pointent par deux fois pour constater l’occupation et obtenir des renseignements. Cela leur est d’emblée refusé. Début octobre 2001 : plusieurs personnes souhaitant entrer se voient refuser l’accès du lieu (huissier, “proprio” autoproclamé). Un employé de la Compagnie des Eaux vient tenter de couper à l’extérieur, mais sous la pression n’insiste pas trop. Fin octobre : EDF intervient par surprise et coupe le jus au niveau du poteau. Quelques semaines plus tard, les habitantEs installent un système autonome en retendant un triphasé par les toits. 20 novembre :— 10h, intervention d’un huissier, de la commissaire de Bagnolet, d’un serrurier et de quelques flics afin de prendre les noms. Ils sont mal reçus, reviennent en force et interpellent six personnes cachées.— 14h, la Compagnie des Eaux intervient pour ouvrir le trottoir. Ils sont repoussés par les copainEs d’Abracadabra et associéEs venuEs en renfort, puis mènent leur sale besogne sous la protection des flics revenus en force. Ces derniers défoncent à nouveau la porte, reconstruite entre temps, et ravagent le lieu. 21 novembre :— 17h, les interpelléEs de la veille pour avoir “volontairement commis des violences ayant consisté à jeter des seaux d’eau, de peinture à l’encontre de Mlle Mouchaud Caroline, Commissaire de Police, dans l’exercice de ses fonctions” ressortent du dépôt du TGI de Bobigny avec une composition pénale qui consiste en 500f pour la sus-nommée plus 1000f d’amende pour l’Etat, par personne. 22 novembre :— 10h, l’autoproclamé “proprio” se rend dans les lieux, est vite embrouillé par deux personnes qui se font ensuite contrôler par les flics appelés à la rescousse par le bourgeois. Les dernières affaires (non détruites) sont évacuées. Début décembre : des inconnus recouvrent le mur du squat d’inscriptions diverses, Flic on va te faire sauter ta face, Crevons l’ordure policière, Feu à toutes les prisons, L’argent crame... / ...le plaisir gagne. La mairie de Bagnolet mettra deux semaines avant d’effacer ce dernier outrage.

Squat Abracadabra

Octobre, ouverture du lieu à deux pas de Socrate. Mi-novembre : un agent EDF examine le boîtier extérieur et y trouve un petit mot : “Trop tard, tocard”/”Abracadabra”. L’arrivée du triphasé a disparu... 30 novembre :— 10h, la commissaire de Bagnolet est de retour avec ses hommes et un nouvel huissier. La porte vole, tout le monde est contrôlé (y compris ceux qui, échappés par le toit, se sont fait rattraper). La Compagnie des Eaux, prévenue, coupe l’eau à l’extérieur et sectionne le tuyau d’arrivée à l’intérieur. Un papier nous apprend que le Secours Populaire est propriétaire de ce lieu depuis le 22 juin par donation et a obtenu une ordon-nance du TGI de Bobigny le 21 novembre pour entrer en force afin d’y relever des noms. 4 décembre :— 11h, intervention d’une société privée chargée d’ouvrir le trottoir pour le compte d’EDF. Ils s’arrêtent devant le refus des habitantEs du lieu.— 14 h, EDF arrivée sur place appelle la police qui arrive en force. Le premier coup de marteau-piqueur sous protection provoque un jet d’eau qui tombe de la façade sur le travailleur concerné. Ce premier geste, assorti d’insultes, cris et vociférations diverses est suivi du départ de toutes les ordures. 28 décembre : Un commis d’huissier souhaite entrer. Devant l’impolitesse manifeste d’un habitant, il s’en va en laissant des assignations à chercher à la mairie. Le procès est fixé au 7 janvier 2002, le Secours Populaire demande en référé l’expulsion sans le délais de deux mois plus 914 euros de frais de justice aux “cinq jeunes gens en parfaite santé, vraisemblablement oisifs et connus des services de police locaux” (constat d’huissier). 7 janvier : Le juge et l’avocat de la partie adverse fixent ensemble les modalités d’expulsion, les habitantEs refusant de participer au jeu judiciaire. Résultat le 4 février.

Extrait de Cette Semaine #84, fév-mars 2002, pp. 10-11


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