Montreuil (93): Les suites de l'expulsion du 30 juillet


Récit d’une journée ordinaire
samedi 31 juillet 2010

« Il a toujours suffi qu’un homme surmonte sa peur et sa révolte pour que leur machine commence à grincer. » Albert Camus

Après l’expulsion du matin, les Roms ont trouvé refuge aux alentours de l’Office du Tourisme ; muret de pierre pour s ’asseoir, herbe fraîche et verte, ombre du bâtiment de l’Office. Le soir à 18h, la manifestation a commencé là, à cet endroit, avec une grande banderole confectionnée par les soutiens, mais personne ne passait par là, alors on s’est replié vers la rue piétonne, à l’entrée. Là, les passants s’arrêtaient, parlaient, questionnaient. On n’avait pas de mégaphone, alors quelqu’un est allé chercher un micro au parti communiste à l’autre bout de la rue. Un Rom a parlé en premier pour dire ce qui venait d’arriver : l’expulsion, se retrouver à la rue sans logement avec les enfants et les quelques bagages.

Aucun des soutiens des Roms ne voulait parler devant le micro, alors je me suis lancée : j’ai raconté l’errance de ces familles depuis le Salon du livre en novembre 2009, les Roms qui avaient été traquées de lieu en lieu, sans pouvoir se poser nulle part, jusqu’à l’installation au 83 av. Prés. Wilson, 15 jours plus tard. Les enfants qui devaient aller à l’école à la rentrée et qui se retrouvaient sans toit. C’est alors qu’une dame s’est approchée et a dit dans la micro que la maire s’était fait élire en faisant des promesses pour ces personnes, et qu’elle ne tenait pas cette promesse.. Roberta a parlé aussi pour persifler autour du personnage de Sarkozy. L’atmosphère devenait de plus en plus animée !

Les policiers dans deux voitures stationnées un peu plus loin, nous avaient prévenus : si nous restions, ils nous feraient partir, mais le rassemblement se mêlait à la Fête pour les africains prévue pour ce soir-là à cet endroit, d’ailleurs des africains ont aussi parlé devant le micro, l’un pour dire que lui travaillait, et qu’il n’était pas comme les Roms, l’autre pour dire : « Nous avons le même combat ! ». L’orchestre se mettait en place : une flutiste et un guitariste qui ont commencé à jouer un air. Ensuite, un Rom a pris la place occupée auparavant par la flutiste devant le micro et il s’est mis à chanter. Tout le monde, Roms et passants l’encourageaient en frappant dans leurs mains. Un autre Rom après lui, est venu aussi pour chanter, comme il était plus petit il a fallu baisser le micro, le guitariste l’a accompagné et la foule enthousiaste l’a acclamé. La glace était rompue de part et d’autre. Tous unis, africains, français et Roms dans le bout de cette rue piétonne.

Aucun élu n’était présent. Nous avions pourtant pris la précaution de les avertir du rassemblement, et des personnes mises à la rue. Aucun retour de parole à notre annonce, aucune présence d’élus à notre rassemblement. Dans cette absence, on pouvait déceler la gêne, la peur, le refus de participation à une action de leur ville et de ses citoyens. Les élus restant enfermés dans la mairie et les cars de CRS stationnant devant ce bâtiment, étant révélateurs d’un profond malaise. La vie d’une ville, ses soubresauts, et surtout, la conscience de ses habitants qui se manifeste, qui crie sa révolte devant les droits humains bafoués, tout cela n’intéressait pas les politiques. Qu’est-ce qui les intéressait ? L’ordre établi ? Leur ordre ? Comment pouvaient-ils exister et faire régner leur loi, s’ils ne s’appuyaient pas sur les citoyens de la ville ? Ainsi se créait le fossé immense entre le pouvoir et ceux que ce pouvoir prétendait représenter. Il ne représentait en fait qu’une image falsifiée de lui-même !

Montreuil, le 30 juillet 2010

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Rroms expulsés de Montreuil : rassemblement mardi 3 août
lundi 2 août 2010

« Expulsés, chassés, Nous voulons une maison pour habiter. »
Rassemblement mardi 3 août devant la mairie de Montreuil à 18h

Vendredi 30 juillet à Montreuil, 7h du matin. Une maison occupée depuis sept mois est expulsée par la police et immédiatement détruite à la pelleteuse, devenant terrain vague inhabitable. La préfecture n’a fait qu’exécuter une décision de justice : à Montreuil comme partout, il suffit de squatter une maison abandonnée pour que son propriétaire s’y intéresse. Cette maison abandonnée depuis des années, déjà squattée à plusieurs reprises et détruite de l’intérieur, avait été réinvestie par des Rroms et des soutiens après que ceux-ci aient été chassés d’un terrain vague en face du salon du livre en novembre dernier. Durant une semaine, police et agents municipaux de Montreuil et Bagnolet les avaient repoussés de ville en ville, de place en place, jusqu’à l’ouverture de cette maison inoccupée.

C’est l’été. Le Président de la République vient d’annoncer l’expulsion de tous les squats et campements dits illégaux de Rroms et gens du voyage. Il en veut 300 avant l’hiver. Le préfet qu’il a placé en Seine-St-Denis se doit de donner l’exemple. Avec cette seule expulsion, il met plus de 50 personnes à la rue, une dizaine de familles, une vingtaine d’enfants, dont plusieurs nourrissons. Bel exemple.

Vendredi la préfecture aurait aimé que tout ça se fasse dans le silence. Mais les Roms expulsés, accompagnés de voisins et soutiens, s’installent aussitôt à Croix de Chavaux, devant l’office du tourisme. Une banderole est peinte et accrochée : « la préfecture a détruit notre maison, nous en voulons une autre MAINTENANT. L’école Berthelot attend les enfants ». Des tracts sont écrits, imprimés et distribués pour informer d’un rassemblement le soir même. Les policiers menacent : « Si le rassemblement a lieu, ça va aller au clash. ». La préfecture ne veut pas de rassemblement public non déclaré à l’avance ; c’est pourtant elle qui a jeté ces familles sur la voie publique le matin. Environ 150 personnes se retrouvent donc rassemblées vers 18h à l’entrée de la rue piétonne, et se mêlent joyeusement à un concert de soutien aux sans-papiers grévistes qui occupent leur agence d’intérim Man Power depuis plus de dix mois.

Le soir, il faut trouver un bout de terrain pour dormir : ce sera le terrain en face du Palais des congrès, le fameux terrain expulsé pour une bonne tenue du salon du livre l’hiver dernier. Le lendemain à l’aube, la police chasse les Rroms de ce campement de fortune. Ils se retrouvent finalement place de la mairie, où se tient un concert, et sont bientôt rejoints par des soutiens. La mairie se contente de faire pression sur la police pour qu’elle n’intervienne pas (et ne gâche pas sa prestation culturelle), mais affirme n’avoir aucune solution à proposer, et refuse même une simple prise de parole au micro.

Le soir, Rroms et soutiens se déplacent vers le haut Montreuil pour chercher un endroit où s’installer pour la nuit. Nous occupons depuis le stade municipal Alfred Wigishoff, boulevard de la Boissière. Nous nous sommes installés et la mairie n’a pas demandé l’expulsion. Certains voisins nous aident pour accéder aux douches du stade, apportent du café et des bâches ; d’autres, haineux, bougonnent et insultent. Il est possible de venir y soutenir les occupants dans les jours qui viennent.

C’est quoi occuper un terrain ou une maison à Montreuil quand on est Rrom ? C’est se voir refuser un accés à l’eau parce que Véolia affirme que c’est impossible. C’est ne pas pouvoir avoir une benne ou des poubelles où jeter les déchets parce que les services municipaux refusent pour mille et une mauvaises raisons. « Cela rendrait leur présence trop visible, les voisins se plaindront s’il le voit », répond un agent municipal aux occupants Rroms d’un terrain rue de Rosny. C’est se faire escorter jusqu’en Roumanie par la police. C’est ne pas avoir le droit de travailler sans promesse d’embauche préalable (qui en obtient, sinon la femme du ministre du travail ?), mais se faire traiter partout de parasites. C’est faire la manche, vendre à la sauvette et être pourchassé par la police. C’est récupérer ferrailles et autres mais être confronté comme tous les glaneurs à la suppression des encombrants sur la ville de Montreuil. La liberté de circulation pour les Rroms, c’est être chassé et expulsé de partout.

Les Rroms expulsés vendredi n’avaient pas demandé une place dans un des camps de réinsertion MOUS. Ils avaient un logement. Ils voulaient juste qu’on les laisse tranquille. Les MOUS – pour : « Maîtrise de l’œuvre urbaine et sociale »- camps de réinsertion très contraignants (vigiles à l’entrée, horaires d’ouverture et de fermeture, interdiction de visites, même du conjoint s’il n’est pas sur les listes) ne sont pas une solution miracle. Les Rroms ne sont pas un problème à éradiquer par les expulsions ou à gérer par l’intégration forcée. Il n’y a pas un « problème Rroms », il n’ a que des histoires singulières. Plusieurs expulsés venaient de villages totalement dévastés par les inondations qui touchent la Roumanie depuis près d’un mois. L’hospitalité n’a rien à voir avec la gestion, et c’est bien d’hospitalité dont nous avons besoin.

Cette semaine en Seine-Saint-Denis, des expulsions ont eu lieu à Montreuil, à la Courneuve, à St Denis. Rroms, gens du voyage, habitants casaniers, voisins, soutiens, c’est à nous tous de résister dans nos villes, dans nos quartiers. D’empêcher ou au moins de rendre visible chaque expulsion par des banderoles, des textes, des rassemblements. De chercher ensemble des maisons délaissées, des terrains en friche, des caravanes à réparer. De partager couvertures, repas et mots. 300 expulsions d’ici l’hiver, cela ne doit pas être possible.

Quelques soutiens aux expulsés

Contact :
n° d’urgence anti-expulsions sur Montreuil 06 08 55 99 82

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