Ce jeudi 14 juin vers 09h30 déjà une bonne quarantaine d’amis, de
voisins, de sympathisants se rassemblent sur les trottoirs de la rue
des Chevaliers, en face de la façade colorée du numéro 11. Au
programme, expulsion des habitants et des ateliers de l’immeuble,
propriété de Heron-City. Le huissier avait prévenu, il viendrait
déloger les squatteurs par la force. Les différentes tentatives de
contact avec l’avocat du groupe anglais n’avait rien donné, et la
Commune ne souhaitait pas intervenir devant une décision de la juge de
paix.
Vers dix heures, des fourgons de la nouvelle police se parquent en
haut et en bas de la rue, afin de régler la circulation. Ponctuels, le
huissier M. De Cnop, son serrurier, quelques gardiens de la paix et un
inconnu remontent la rue. Nous sommes une centaine pour les
accueillir : cris, sifflements, quolibets et attention spéciale pour
M. De Cnop qui, il faut le dire est déjà connu pour une expulsion
avortée rue des Drapiers. Les journalistes se pressent tandis que l’on
aperçoit quelques écolos, venus spécialement manifester leur soutien à
l’Ilot Soleil, sourirent lorsque le huissier a la rigueur naïve de
sonner à la porte. Malgré l’heure matinale, les habitants de la maison
sont aux fenêtres du dernier étage et expliquent qu’ils ne comptent
pas laisser la place au chancre : besoins d’habiter, de répéter, de
danser, de jouer de la musique, de peindre, de se rencontrer, de
vivre. Pas de blagues, ce lieu était à l’abandon, il resterait vide
après l’expulsion. Certes pas de permis de bâtir ni de démolir, juste
une politique de promoteur immobilier et un procès d’expulsion perdu.
Le serrurier connaît son métier, il se met immédiatement à jouer de la
lime malgré les ricanements féroces des manifestants dans son dos. Du
haut de la maison se met à hurler une sirène d’usine, juste de quoi
bercer une pluie fine de confettis qui ne cessera plus de couler sur
nos têtes. La porte résiste Le serrurier sort alors un marteau et
brise une vitre de la lourde, histoire de voir qui est le plus malin.
Ce devait être un serrurier de droite, il fera son travail jusqu’au
bout. Une demi-heure plus tard entre le petit régiment suivi de oh !
surprise, M. Decourty, bourgmestre socialiste d’Ixelles accompagné
d’un commissaire de police. On ne les avait pas vu arriver ces
deux-là. Ils rentrent, tandis que sur la façade deux énergumènes
surgissent dans le vacarme se balançant comme des spidermen.
Cesse alors la neige de confettis : le serrurier rusé est en train
d’essayer de se frayer un passage à travers un mur de la pièce ou les
habitants pas fous se sont barricadés. Ceux-ci jettent dans un éclair
une tornade mirobolantes de planches, de clous, de vis, contre la
paroi attaquée. Et devant la fureur des cris de guerre des occupants,
l’inquisiteur se résigne. Une œuvre d’artistes, mais on ne l’apprendra
que plus tard.
JE T’AIME, MOI NON PLUS
Pendant ce temps en bas, le plus vieux des déménageurs rassemblait ses
acolytes. Mais la foule solidaire s’interpose devant les jeunes
videurs qui arrivent : « nos amis habitent ici ! faites demi-tour ! »,
« on a rien contre vous, mais nous ne vous laisserons pas entrer »,
« profitez du soleil, ne travaillez pas aujourd’hui !», « dites merde
à vos patrons », etc. Les jeunes déménageurs, après tout, ne demandent
peut-être pas mieux que d’attendre ou de ne rien faire. Est-ce qu’ils
comprennent ce qu’il se passe ? Les sons des cuivres, des violons et
des tambours ont envahi la rue et les égaient, ils repartent. Les gens
dansent et tapent dans les mains. Il ne manque plus que les chars,
mais ce sont les bœufs qui remontent, les vieux déménageurs râleurs
veulent travailler, on les en empêche. Ils roulent des mécaniques,
beuglent un peu mais s’ébrouent et s’en vont.
Cette fois c’est la volaille qui descend. On a de la chance la dizaine
de cyborgs Polbru sont sans casques : ce n’est pas une question
d’envie, c’est seulement pour l’image, (depuis les élections, Ixelles
est une commune « à gauche » ). Ceux qui sont présents bloquent la
porte d’entrée. La tension monte d’un cran, les cyborgs avec leur
agressivité coutumière distribuent quelques coups de matraque,
essaient d’embarquer un copain flamand et son tambour, mais se
heurtent à une résistance déterminée. Tout le monde crie « salauds,
solidarité avec les chevaliers! », «pas de violence! », « non aux
expulsions! », « occupons les maisons vides! ». Mais que fait M.
Decourty ? Que fait-il de sa maréchaussée spatiale ? Ne peut-il les
calmer, les contrôler ? Les renvoyer dans l’espace ? Ou attend-il les
chiens et les gaz ?
Tout doucement, ça se calme, le soleil est bien entendu avec nous. Les
flics font la gueule, « Exproprions les propriétaires ! », « On ne
bougera pas, on résistera …», le lapins rouge et les musiciens de la
fanfare improvisée relancent des rythmes tonitruants.
Les combis de la police tournent autour de l’îlot, trois attendent
dans la rue des Drapiers. Ca tire en longueur, le bourgmestre en a
marre, il a visité la maison et constaté qu’elle est tout à fait
salubre contrairement aux affirmations d’Heron-City.
Le bourgmestre voudrait sortir de la maison, mais la foule en musique
et en colère ne le lui permet pas. Il faut qu’il trouve une solution :
soit c’est l’intervention policière, soit il s’arrange avec le
huissier. C’est ce qui se passe, celui-ci décide de reporter
l’expulsion. M. Decourty, des confettis plein les cheveux, déclare à
la presse qu’il rencontrera Heron-City pour négocier une convention
d’occupation.
Les habitants de l’Ilot Soleil attendent donc de la commune qu’une
garantie puisse être donnée quant à la possibilité de rester dans les
lieux au moins jusqu'à l’obtention d’un permis de bâtir par le
propriétaire.
La menace d’expulsion est toujours présente, nous comptons sur la
mobilisation de chacun à tout moment, tenez-vous au courant.