Tanneries, Dijon: de février 1998 à novembre 2002 - bilan provisoire et perspectives (réactualisé 11/02)


Voici une version récemment réactualisée d'une tentative de bilan de quelques années d'existence autogérée des Tanneries de Dijon. Les retours seront sans doute bienvenus à l'adresse tanneries@squat.net.

L'espace autogéré des Tanneries

Un centre alternatif de vie et d'activités politiques, sociales et culturelles à Dijon

de février 1998 à novembre 2002 - bilan provisoire et perspectives

Les Tanneries vivent depuis un moment déjà. Il nous a semblé qu'il était temps de faire un bilan de la situation, en commençant par une petite présentation du projet et de sa situation actuelle. Ce texte est donc certainement un peu long et lourd. Néanmoins, si les Tanneries vous questionnent, il vaut peut-être le coup d'être parcouru.

Prologue

Les Tanneries sont nées pour beaucoup des désirs de personnes qui avaient en commun de vouloir vivre à Dijon ce qui les avaient tant enthousiasmées dans les expériences d'espaces « libres » découverts au cours de leurs voyages et rencontres, qui souhaitaient ne pas se contenter de rêver mais voulaient construire, partager leurs luttes et leurs idées.

Le 30 octobre 1998, les anciens locaux administratifs des Tanneries (situés 13 et 15 boulevard de Chicago) laissés à l'abandon par la municipalité depuis 1995, sont donc occupés par un collectif d'individu-e-s et d'associations dijonnaises. Pour y vivre d'une part, mais aussi pour mettre à disposition un espace de création, indépendant de l'état et du marché capitaliste.

Depuis, plein d'idées et d'envies s'y entremêlent...

Agir sur la question du logement et de la propriété privée

A travers l'occupation, le collectif entend dénoncer la spéculation immobilière, les loyers trop élevés, l'impuissance des individu-e-s isolé-e-s face aux pouvoirs publics et aux services sociaux. Considérant que la société ne permet pas à beaucoup de se loger dans des conditions décentes et dans des espaces qui nous permettent de développer des projets de vie collective, considérant par ailleurs la multitude de bâtiments vides dans l'agglomération dijonnaise (environ 4000) il nous semble légitime d'investir cet espace inoccupé, dont personne ne fait rien. Ses caractéristiques nous permettent de mettre en oeuvre notre projet de vie collective, de faire revivre un habitat laissé à l'abandon, et de le transformer en lieu d'activités.

De manière plus approfondie, cette démarche s'inscrit dans une remise en cause de l'idée de propriété privée et de la logique d'accumulation des richesses. En effet, nous pensons que les biens matériels en ce monde devraient être à la disposition des personnes selon leurs besoins, de manière égalitaire. Nous avons l'audace de penser que ces biens ne devraient pas être accumulés par quelques-uns, qui n'en ont d'autre usage que celui d'accroître leur richesse et leur pouvoir. Contre la propriété privée, nous prônons la « propriété d'usage ».

Proposer un espace de création et de diffusion indépendantes

Prisonnière des institutions, dépendante des subventions de l'état ou soumise aux exigences commerciales, la création laisse de moins en moins de place aux alternatives. A Dijon, de nombreux-ses artistes, comédien-ne-s, musicien-ne-s ne souhaitant pas se vendre n'ont nul part où s'exprimer et montrer leurs travaux au public. Les Tanneries se devaient donc d'être un espace où puissent « exploser » les manifestations « artistiques » autres que celles de la culture de consommation, du star-system ou de la télévision. Un espace qui soutienne les réseaux « Do It Yourself » (« fais le par toi-même ! »). Des réseaux où solidarité et débrouille rendent la création et la diffusion accessibles à tou-te-s. Outre la volonté de réunir des acteurs et actrices de différents domaines, notre objectif est de montrer que la création peut fusionner avec la vie quotidienne, le social ou le politique.

Concilier engagement militant et vie au quotidien

Il nous semble important de concilier lieu d'habitation et espace d'activité : nous ne sommes pas les premier-e-s à penser que le personnel et le politique sont intimement liés et que pour espérer changer le monde, il faut aussi se changer soi-même.

Nous ne voulons pas voir le « politique » comme un domaine austère et inaccessible, comme la gestion de la vie économique et sociale par les grands de ce monde. Au contraire, il s'agit pour nous d'une manière d'appréhender tous les domaines de la vie : des relations interpersonnelles aux loisirs, de notre rapport à l'environnement à la façon dont nous mangeons, de la manière dont nous effectuons nos trajets quotidiens aux relations que nous entretenons par notre consommation avec des populations habitant de l'autre coté de la planète.

Un spectacle, un sourire, une rencontre peuvent être aussi « politiques » que des milliers de personnes qui bloquent l'ouverture du sommet de l'Organisation Mondiale du Commerce.

Nous basons donc la cohérence de notre démarche politique et personnelle sur la volonté de ne pas couper l'action militante de la vie quotidienne. Cela nous différencie radicalement de tou-te-s les politicien-ne-s idéologues qui prêchent le changement, critiquent en théorie la consommation, la pollution de la planète ou les rapports de domination sans chercher à s'en dégager dans leur pratique.

En somme, il s'agit de créer une structure où puissent se développer notre épanouissement individuel, un mode de vie en accord avec notre éthique et notre volonté d'agir sur le monde.

Par le biais du squat, être moins esclave du travail salarié

Nous sommes pour la plupart destiné-e-s à passer le plus clair de notre vie à travailler, au profit d'une entreprise ou d'un patron. Le plus souvent pour faire face à tous les besoins financiers auxquels la société cherche à nous contraindre. Nous considérons le travail salarié comme une des aliénations majeures imposées par le capitalisme, et voulons choisir librement des activités variées qui nous appartiennent.

La nécessité de payer son loyer est un des facteurs importants qui entraînent la dépendance vis-à-vis d'un travail à temps plein. Le squat, en abolissant le loyer et en permettant de partager les ressources peut réduire énormément cette dépendance et ainsi permettre de dégager du temps libre. A l'heure actuelle, nos alternatives sont néanmoins bien insuffisantes pour pouvoir totalement nous affranchir du besoin d'argent et nous continuons donc pour beaucoup à bosser à temps partiel ou par intermittence.

Vivre autrement et créer des alternatives locales face aux pouvoirs en place

Notre choix de vie collective nous amène à développer des notions de solidarité, de dynamique de groupe, d'échange de savoirs et de compétences. Pour le plus d'autonomie possible vis à vis de l'état et du capitalisme, nous cherchons à ne pas rester passif-ve-s et à faire les choses nous-mêmes : récupérer plutôt que gaspiller, réparer plutôt que jeter, créer plutôt qu'acheter, participer plutôt que payer, communiquer plutôt que regarder la télé, faire les choses ensemble plutôt qu'aller s'enfermer chacun-e chez soi, s'enrichir de savoirs et pratiques dans des domaines tant « physiques » qu'« intellectuels » plutôt que dépendre de spécialistes. Les Tanneries, comme d'autres espaces repris à la logique marchande, sont ainsi un endroit où l'argent et la compétition sociale perdent de leur importance. Un espace où l'on se réapproprie son temps de vie, sa capacité à penser, à agir, à transmettre une information autre que celle que les médias nous balancent selon les règles de la pensée unique et du marché mondial. Nous nous efforçons par ailleurs d'analyser et de combattre les attitudes sexistes, racistes, âgistes ou homo/lesbophobes qui peuvent se retrouver à l'extérieur du lieu comme en son sein.

A l'instar de beaucoup d'autres squats, nous expérimentons d'autres modes de fonctionnement plutôt que d'attendre une « révolution » qui viendrait miraculeusement tout changer du jour au lendemain. Cependant, vivre et penser autrement est une recherche continue, et non pas quelque chose qui vient d'un coup parce que l'on a décidé de s'étiqueter militant-e ou révolutionnaire.

Nous pensons que des espace de liberté repris au système peuvent contribuer à mettre en place des sociétés libres, basées sur l'épanouissement des êtres qui les constituent. Ils peuvent faire la preuve par l'exemple de la viabilité d'autres modes d'organisation, et nous permettent de proposer dès aujourd'hui autre chose. En ce sens, ils sont une action complémentaire des luttes sociales auxquels nous pouvons participer. Qu'il s'agisse d'offensives contre les politiques menées par l'état ou les multinationales, d'agir contre l'agriculture industrielle, contre la voiture ou l'industrie pétrolière, de s'attaquer au contrôle social et à la répression, de solidarité Nord-Sud, d'aide aux prisonnier-e-s, de remise en cause du système patriarcal, de lutte dans les lieux de travail, écoles ou facs contre l'exploitation et la marchandisation.

Bien-sûr, pour représenter un contre-pouvoir plus efficace, pour ne pas rester une alternative isolée mais réellement construire un autre monde, il faudrait pouvoir mettre en place des structures autogérées à tous les niveaux (alimentation, éducation, santé ou transports...) et multiplier les liens et les échanges. Nous en sommes certes loin, mais il nous semble important de garder ces objectifs en tête et de chercher à créer dès aujourd'hui la réalité dans laquelle nous voudrions vivre. Nous espérons pouvoir continuer à contribuer à cela dans le futur.

Vous et nous ?

Les Tanneries ne sont pas une petite bulle fermée face au monde, mais s'efforcent d'être une structure ouverte à celles et ceux qui souhaitent rêver, s'exprimer, créer. Même si cela peut sembler un peu contradictoire avec tout ce beau discours théorique (mais traduit par des pratiques réelles), nous voulons ne pas agir en idéologues ou en donneurs de leçons fermés sur une vision dogmatique du monde. Nous voudrions pouvoir réfléchir et discuter à partir des expériences et idées de chacun-e.

Par ailleurs, il est indéniable que notre mode de vie est quelque peu différent des réalités quotidiennes que connaissent un grand nombre de personnes. Nous sommes conscient-e-s des incompréhensions réciproques que cette situation peut entraîner et du risque de s'enfermer dans un ghetto alternatif. Nous ne voulons pourtant pas nous couper du reste des gens et agir dans notre coin sans plus comprendre les réalités de notre société. Nous n'échappons pas à une bonne partie des faits et idées que nous remettons en cause dans le monde actuel. Alors même si notre univers paraît un peu intimidant ou trop marginal, espérons qu'une bonne volonté commune d'aller au devant des autres, sans les juger à priori, nous permettra de mener des aventures ensemble et de créer des liens qui cassent ces barrières.

Fonctionnement et implication dans le lieu

Ce lieu fonctionne sur un principe d'autogestion. Chacune et chacun participe à la gestion du lieu et des activités par le biais de réunions régulières, d'assemblées générales (AG) mensuelles. Ces AG regroupent les habitant-e-s, individu-e-s et groupes actifs au sein du lieu (programmation, atelier informatique, potager, local de repet', infokiosk/zone de gratuité...), qui ont souvent des réunions de travail spécifiques et complémentaires. Les AG sont ouvertes à toute personne se sentant concernée et désirant s'impliquer dans le lieu d'une manière ou d'une autre.

La lutte menée contre l'expulsion

Notre projet a logiquement déplu aux pouvoirs en place qui ont cherché à y mettre fin de diverses manières au cours des quatre dernières années. Ils ont successivement caché leur peur de voir se développer une structure revendicative et échappant à leur contrôle sous une série de faux prétextes que nous avons démontés un à un.

Nous avons réagi par une série de manifestations, tables de presse dans la rue, journées portes-ouvertes et autres actions largement soutenues. Autant d'initiatives qui eurent le mérite d'informer un grand nombre de personnes de notre démarche et d'instaurer un rapport de force suffisant pour nous maintenir dans les lieux.

Dans ce contexte, un « dialogue » s'est établi avec la municipalité, propriétaire des lieux. Tentative problématique de concilier notre volonté d'autonomie et de lutte contre les institutions dirigeantes, avec la possibilité d'inscrire notre projet dans le long terme, pour en tirer au final plus que ce vers quoi la seule confrontation nous aurait probablement mené (l'expulsion). Dans le contexte local, nous avons fait le pari qu'une structure autogérée stable pourrait assurer une continuité de notre action et offrir des ressources complémentaires à toutes sortes d'autres initiatives d'occupation parfois plus éphémères.

Les conditions de vie et d'acceuil dans le lieu étant un problème évidemment important pour nous, nous avons réalisé des travaux considérables, de manière autonome, sans aucune subvention (que nous avons toujours refusées). Ces travaux, enjeu clé des négociations avec la Mairie, visaient notamment à mettre aux normes la salle d'activité publique et à parer aux risques d'une interdiction préfectorale. Alors que les travaux de mise aux normes du bâtiment touchaient à leur fin, un incendie criminel a ravagé la toiture de notre ancienne partie d'habitation dans la nuit du 16 au 17 juin 2000. La mairie en a aussitôt profité pour briser les négociations en cours, alors sur le point d'aboutir, et demander notre expulsion au Tribunal. Il s'en suivit un long bras de fer tout l'été, au bout duquel la mairie, une nouvelle fois découragée par notre ténacité et par le large soutien manifesté, finit par abandonner l'expulsion. Lors des élections muni-cipales de juin 2001, l'équipe municipale actuelle s'engagea à ne pas nous expulser. Cependant, de nouvelles menaces nous poussèrent en juin 2002 à des actions qui aboutirent à la signature d'une convention d'occupation renouvelable de trois ans. La salle d'activité publique est maintenant agréée.

Il est toutefois important de préciser que les Tanneries restent complètement indépendantes et que nous veillerons à ce que la la signature de cette convention n'agisse en aucun cas sur la nature de nos activités et de notre engagement.

Un bilan ?

Après 4 ans d'occupation, nous pensons être parvenu-e-s à concrétiser une bonne partie de nos projets, à vivre un paquet de choses assez magiques (et bien-sûr d'autres assez dures parfois) et sommes en mesure de tirer un bilan positif de notre action. En effet, ce lieu est rapidement devenu un centre d'activités important, à une échelle locale et plus encore. Les ateliers créés ont permis à de nombreux-ses individu-e-s de s'exprimer sous des formes multiples et dans la gratuité (peinture murale, cinéma, labo photo, sérigraphie, jonglage, locaux de répétition, bibliothèque, atelier de percussions, réparation de vélo) et de se produire ou d'exposer. Nous avons à notre actif quelques centaines de manifestations publiques : théâtre, chanson, débats, cinéma indépendant, expositions...

Face aux mammouths de la culture abreuvés de subventions, nous avons prouvé qu'il était possible de proposer une programmation riche sans quémander un sous aux institutions. Les formes de gestion collective et la place primordiale laissée à l'initiative personnelle ont apporté une expérience stimulante. Celle-ci a permis à un certain nombre de visiteurs et de visiteuses de s'impliquer activement sans se cantonner au rôle de consommateur passif que réserve la culture institutionnelle ou commerciale. Le lieu a été aussi l'occasion d'échanges et de diffusion d'idées importants, et a permis la mise en place de nombreuses actions politiques, dont les Tanneries ont servi de support (que ce soit la préparation des manifestations de Davos contre le Forum Economique Mondial ou du campement No Border de Strasbourg, des semaines d'actions locales interlibertaire ou intersquat, de nombreuses campagnes et manifestations locales sur la guerre en Colombie ou en Afghanistan, la voiture en ville, les politiques sécuritaires, etc.).

Toutes ces impressions positives ne doivent pas cacher les nombreuses insatisfactions et difficultés que nous rencontrons quotidiennement pour nous organiser en autogestion, développer une participation plus active et plus égalitaire d'un grand nombre de personnes, maintenir nos projet ouvert sur l'extérieur. Une somme de remises en cause et de questionnements constants nous aident, nous l'espérons, à progresser. L'important à l'heure actuelle, alors que notre situation commence à gagner en stabilité, est de conserver la dynamique d'ouverture sur des pratiques, cultures et visions variées, ainsi que sur de nouveaux projets d'activités, tout en approfondissant les principes d'autogestion qui sont à la base du projet.

Les Tanneries et le mouvement « intersquat » local et au-delà

Malgré les tentatives d'expulsion répétées de la mairie et un incendie, nous sommes toujours là. C'est selon nous la preuve qu'il est possible de se battre victorieusement face aux institutions et qu'un squat d'activité en France n'est pas forcément condamné à la précarité, au court terme et aux expulsions pour peu que l'on résiste ! Néanmoins, de manière encore accrue depuis le 11 septembre, l'Etat s'est engagé dans une politique ultra-sécuritaire qui vise à paralyser toutes les couches contestataires ou « gênantes » de notre société. Nous manifestons ici notre solidarité avec tou-te-s celles et ceux qui ouvrent des squats et doivent faire face à la répression des propriétaires, des pouvoirs locaux, de l'état, des flics et de la justice.

Vers de nouveaux projet d'activités aux Tanneries ?

Après de nombreux moments difficiles, la salle d'activités est enfin définitivement mise en place, et la situation se stabilise (au moins en ce qui concerne les menaces d'expulsion, pour un certain temps). Nous pensons qu'en dehors de l'importance d'expériences plus éphémères, une des clés pour la construction d'un mouvement à long terme est de pouvoir disposer d'espaces stables et ouverts à l'implication d'un grand nombre de personnes et collectifs. De ce point de vue, un lieu comme les Tanneries représente un énorme potentiel. En plus des diverses activités publiques (concerts, débats, ateliers) qui n'ont jamais cessé, de nouveaux projets se sont mis en place au cours des derniers mois : le collectif PRINT qui agit dans le domaine des logiciels libres et de l'informatique alternative, un potager collectif et la réhabilitation d'un verger en friche, une zone de gratuité avec un infokiosk et une bourse aux vêtements...

On attend vos idées pour le reste, et votre participation active en projets, sourires, matériaux, travaux. Pour le détail des activités, des programmes et plaquettes de présentation sont disponibles sur place et dans quelques lieux dijonnais.

réactualisé en novembre 2002
par des tannerien-ne-s

Les Tanneries <tanneries@squat.net>


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