Dijon: Chronique de l'arbitraire propriétaire |
Chronique de l’arbitraire propriétaire
Fin octobre 2007. Comme chaque année, c’est la saison des « ouvertures ». Histoire d’arracher des maisons à leur abandon et de sauver de belles bâtisses du mépris dans lequel les tiennent des proprios négligeants ; histoire de vivre hors des contraintes du loyer et du diktat salarié, d’oser des aventures collectives peu courantes en société ; histoire de se donner les moyens de vies plus remplies, de braver l’interdit.
En ce mois d’octobre, donc, c’est la rue Philippe Guignard, à Dijon, qui reprend des couleurs peu à peu, avec l’occupation de plusieurs bâtiments jusque là livrés au vide. Des parpaings volent en éclat, pour laisser de nouveau pénétrer la lumière dans des pièces tapies dans l’obscurité depuis 20 ans ; le portail est réparé, portes et fenêtres reprennent du service, et la jungle disparaît, pour faire place à une cour, un sentier, un jardin... un terrain.
Étonné·e·s de cette transformation, nombreux-ses sont les habitant·e·s du quartier à s’arrêter discuter, encourager ; notamment les résident·e·s du foyer situé à proximité, pour lesquel·le·s la vision de tels bâtiments inoccupés apparaît comme une provocation depuis longtemps, quand eux et elles doivent se cantonner à de maigres appartements, et composer tant bien que mal avec le monde de l’argent.
Tout va pour le mieux, donc, au « Second Choix », maison fraîchement libérée de la rue Philippe Guignard. Des travaux quotidiens, une paella de quartier dans le jardin, un lieu de vie qui prend forme, et la perspective d’activités devenant petit à petit réalité. Jusqu’à l’arrivée fracassante du propriétaire, un après-midi. Le dialogue tourne court, face à un vieil homme débonnaire, qui postillonne sa colère et insulte tout ce qui bouge, furieux que des pauvres aient osé.
Il n’en a rien à foutre, lui, des mal-logé·e·s. D’ailleurs, il est tout fier d’avoir expulsé manu-militari, avec l’aide de quelques ouvriers, une famille de Roumain·e·s, qui depuis plusieurs mois, vivaient à proximité. Non content de les avoir délogés, Monsieur se vante en plus de les avoir fait expulser du pays, déplorant cependant que les squatteurs qu’il a en face de lui n’aient pas aussi profité du charter, afin de pouvoir « ouvrir la soute en plein vol » et se débarrasser ainsi de tou·te·s ces indésiré·e·s.
Après le proprio, place à la flicaille, avec en tête, la Brigade Anti Criminalité. Coups de pression et menaces habituelles, tentative d’esquiver la procédure légale, bref, la routine, quoi. Rappelé à l’ordre par un supérieur et forcé de constater son impuissance, un flic précise cependant au propriétaire qu’il a deux options : passer par la voie légale pour obtenir l’expulsion, ou faire venir des gros bras, le flic recommandant la seconde solution. Chacun·e en tirera ses propres conclusions.
Quoi qu’il en soit, il semble que le propriétaire ait été une oreille attentive, et n’ait pas souhaité s’encombrer de quelque loi. Car une semaine plus tard, une pelleteuse s’attaquait à la maison voisine, anciennement occupée par la famille roumaine précitée. La police, se rendant sur les lieux, n’a semble-t-il pas jugé utile de verbaliser le proprio, malgré l’absence flagrante de permis de démolir. Allez savoir.
La semaine suivante, c’était au « Second Choix » d’essuyer des coups de bulldozer. Profitant d’une absence momentanée des habitants, alors occupés par l’effervescence sociale contre la LRU et son monde, le proprio fracassait volets et fenêtre. Quelques heures plus tard, avant que ne puisse s’organiser quelque défense, le même propriétaire faisait s’effondrer tout un pan de la maison à la pelleteuse, démolissant terrain et bâtiment, ensevelissant tous les effets personnels des occupants.
L’histoire ne fait certes que confirmer ce que l’on savait déjà, mais s’il vous manque la rage, parfois, et l’envie de foutre en l’air ce monde absurde, ne cherchez pas bien loin : il se trouve tout un tas d’exemples comme ça. Bien entendu, on ne se laisse pas abattre, puisque plusieurs autres ouvertures ont émaillé cette fin d’année, dont le "rumore bianco" et le "mât-noir", qui poursuivent leur pied-de-nez au monde de la propriété !
un électron de l’intersquat
Un électron de l’intersquat