Cévennes: Présentation d'un nouveau collectif |
Depuis quelques années, on assiste à un regain d'intérêt économique et de
spéculation foncière dans ces zones de basse montagne qui, jusque-là,
paraissaient d'un faible rendement; les plantations de pins
subventionnées
(responsables, entre autres, de l'assèchement de nombreuses sources)
constituaient, il y a peu encore, le seul «investisement» de grands
propriétaires souvent non résidents. Désormais, les pouvoirs publics
voient la possibilité de créer de nouvelles sources de profit, grâce au
développement du tourisme, de l'agro-tourisme et du travail à domicile – permis par les outils dernier cri de «communication» – de cadres
récemment installés, mais qui conservent leurs modes de vie et exigences d'urbains.
Des infrastructures, adaptées aux besoins et habitudes métropolitaines,
sont donc mises en place: ADSL, routes élargies, pistes goudronnées,
campings-gîtes-hôtels, lotissements-parpaings... pour une population,
principalement saisonnière, dont on attend la manne financière.
Régulièrement, de nouveaux venus quittant les villes cherchent à
s'installer dans ces coins de montagne; ceux-là n'ont pas forcément les
mêmes attraits économiques.
Déjà, dans les années 70, mus par le vent de contestation que fit
souffler
Mai 68, une première vague d'arrivants s'est établie en Cévennes, dans
l'espoir de construire un monde meilleur. Certains sont repartis,
d'autres
sont restés et ont fait leur chemin. Les difficultés étaient déjà
présentes. Des paysans ont ouvert leur porte, partagé leur savoir et leur
expérience, laissé l'accès à une partie de leurs terres non cultivées;
d'aucuns se sont méfiés de ces «étrangers» aux mœurs différentes et n'ont
pas voulu livrer la moindre parcelle en friche de leurs terrains.
Depuis quelques années, on observe une sorte d'«exode urbain», qui touche
des populations souvent jeunes, précarisées et lassées du miroir aux
alouettes de la «vie moderne». La pauvreté, la concurrence effrénée, la
solitude, la toxicité des villes poussent ces exilés hors des grands
ensembles et loin du bitume. Leur désir est d'échapper à des
conditions de
vie dégradantes, à la très forte pression financière (loyers
inaccessibles, pouvoir d'achat qui dégringole, chômage, ...). Ils
viennent
afin de pratiquer ici – où les montagnes sont partiellement épargnées par
l'agro-industrie et sa monoculture à perte de vue –, une économie
d'auto-subsistance; gagner quelques bribes d'autonomie, de liberté ou de
tranquillité. Ils cherchent à inventer, ou plutôt à réinventer, des
formes
de vie ou d'habitat différentes de celles dans lesquelles on voudrait
nous
cantonner à vie. Ces arrivants remettent des terres en culture,
restaurent
des bâtisses ou construisent des cabanes et autres abris légers, dans des
montagnes boisées qu'ils entretiennent, et avec lesquelles ils vivent en
bonne entente. Ils n'ont pas forcément l'ambition de devenir agriculteur
comme leurs prédécesseurs, mais plutôt de vivre simplement, de tisser des
liens de solidarité disloqués ailleurs, de retrouver le goût et le faire
de choses à taille humaine.
Pourtant, l'installation est de plus en plus difficile. Aujourd'hui,
beaucoup (y compris des anciens) voient bien l'intérêt du repeuplement
des
vallées et montagnes; mais les terres sont en majorité dans les mains de
riches propriétaires, ou appartiennent aux offices publics dont
l'activité
essentielle était jusqu'à présent d'y planter des résineux. Les
institutions, quant à elles, ont des plans d'aménagement et de «zonages»
(P.O.S, P.L.U...) pour tous ces espaces, qui ne laissent pas place à des
projets autonomes. Ici, comme dans les Alpes ou les Pyrénées, les
nouveaux
venus sont accueillis en fonction de leurs finances et de la
conformité de
leurs projets à l'économie marchande. La culture, l'élevage, l'habitat
doivent correspondre à des normes draconiennes, aseptiques et qui fondent
tout dans un moule unique et massifié. L'économie d'auto-subsistance, les
cabanes et les installations de fortune ne sont pas les bienvenues. Les
toits en chantier recouverts de bâche, les bidons pour stocker l'eau en
attendant que sources et bassins reprennent du service, les épaves
fournissant les pièces de voitures malmenées par des kilomètres de
pistes... font tâche dans le décor carte-postale vendu dans les
offices de
tourisme et les agences immobilières. Pour tous ces marchands de «rêve»,
le passé est bon à afficher, mais réduit à son expression folklorique,
enterré dans des musées. Les manants des montagnes d'hier feraient
pourtant bel effet, eux aussi, face à la propreté clinique de rigueur
aujourd'hui.
Cette politique de normalisation et de rentabilisation de tous les
espaces
est la marche logique du système capitaliste. Elle s'accompagne
nécessairement d'une politique de répression pour ceux qui ne peuvent ou
ne veulent pas s'adapter aux injonctions du tout-marchand. Elle s'exerce
sur l'ensemble du territoire, avec des variantes locales. Des caméras au
coin des rues aux survols réguliers des zones rurales pour dénicher les
cabanes clandestines (Mission interministérielle d'aménagement du
littoral, Languedoc-Roussillon, 43 fiches pour l'action, 2006), le
territoire est quadrillé, contrôlé. Des sans-papiers traqués à la sortie
des écoles, chez eux, dans les bars ou au boulot, aux auto-constructions
brûlées ou rasées en Lozère ou en Ariège, les indésirables sont
pourchassés. De la casse des protections salariales à l'arnaque de l'Euro
et de l'Europe, la pauvreté et les galères de fin de mois sont de plus en
plus partagées. L'Etat déclare la guerre aux zones de «non-droit»; les
Cévennes, pour lui, en sont une parmi d'autres.
Cette politique est relayée par certains citoyens zélés qui n'hésitent
pas
à mouiller la chemise pour faire déguerpir ces malvenus. Un climat
d'hostilité, de délation et d'intimidations est de plus en plus palpable,
ici comme ailleurs.
Cependant, de-ci de-là, des individus se rassemblent, unissent leurs
efforts pour construire des résistances et des projets de vie autonomes.
Ils sont de plus en plus nombreux à n'attendre plus rien des pouvoirs
publics et à s'organiser en conséquence. Les solidarités existent et se
développent, hors des institutions et souvent avec le concours
d’habitant-e-s du coin, pour qui la raison n'est pas forcément celle du
plus fort.
Conscient de cet état de fait, un collectif (sans nom – pour l’instant ?)
se constitue autour des Basses-Cévennes pour vivre et résister ici et
maintenant. Il regroupe des personnes installées ou qui souhaitent le
faire, de façon différente et multiple face au modèle unique, et à qui il
apparaît nécessaire de réfléchir et d'agir ensemble.
Confronté à un problème de taille, le collectif souhaite poser
publiquement la question de l'usage des terres et de l'habitat, de ces
terres abandonnées, de ces paysans sans terre et de ceux pour qui,
simplement, ces vallées sont riches d'une vie que tout concourt à
écraser.
Il s'adresse à ceux qui habitent cette région et qui veulent la voir
vivre.
Le collectif propose d'aider, dans la mesure de ses forces, à
l'installation et la réalisation de projets de vie, hors des dogmes du
marché et des directives régionales ou européennes, pour ceux qui n'en
veulent pas ou qui, de toute façon, n'en ont pas les moyens:
constructions
hors-normes, occupations illégales, remise en cultures de terres pour
l'auto-subsistance... Il propose aussi la mise en commun de moyens
d'exploitation (clèdes, pressoirs, outils...), l'organisation de
chantiers
collectifs, la transmission de savoirs et techniques. Une façon de
s'associer basée sur la coopération et l'autonomie – sans intermédiaire – afin de s'entraider dans l'avancée de nos projets.
Il veut produire les occasions de se rencontrer – au-delà de prétendus
clivages culturels ou identitaires qui font le lit de la division tant
souhaitée par certains –, pour se connaître et s'enrichir mutuellement.
Conscient que les politiques répressives vont s'amplifier, le collectif
propose d'œuvrer à la création d'un rapport de forces face aux différents
rouages administratifs et étatiques, et de limiter, voire d'empêcher, les
expulsions et les destructions de lieux de vie et de terrains utilisés.
D'autre part, le collectif souhaite se solidariser avec ceux et celles
dont les démarches et résistances vont dans ce sens, et échanger et
s'organiser avec d'autres collectifs ou réseaux, dans la mesure
d'objectifs communs.
Le collectif fonctionne de manière autonome – hors des cadres
institutionnels –, sans hiérarchie ni spécialiste. Il est ouvert à toute
personne qui partage le constat, les objectifs et le fonctionnement du
collectif. Les décisions sont prises dans des assemblées régulières, au
consensus (recherche d'un accord commun). Des mandats impératifs (pour
une
tâche et un temps définis), formulés en assemblée, sont donnés à des
personnes volontaires. Ils doivent en rendre compte à l'assemblée et sont
révocables par elle.
Le collectif, pour faire passer nouvelles et propositions, utilise ses
propres moyens et ceux d'information autonomes. Il favorise les rapports
directs, pour dépasser les rapports sclérosés, imposés par cette société
de l'image, du cliché et du spectacle. A contrario de l'utilisation, au
premier abord plus facile, de ces intermédiaires omniprésents et
omnipotents que sont les médias officiels et les institutions. En tout
état de cause, le collectif n'a ni porte-parole, ni représentant et,
s' il
juge opportun de communiquer un message à ces derniers, il le fera
collectivement, en assemblée.
Ce qui se joue ici est en marche ailleurs: aux politiques répressives qui
s'étendent, répondent des formes multiples de résistances. Par souci de
solidarité et de diffusion de ce vent de révolte, le collectif échange et
s'organise avec d'autres collectifs et réseaux, dans la mesure
d'objectifs
communs.
Août 2007,
infos sur http://lapicharlerie.internetdown.org/
contact provisoire: lapich at no-log.org