Voici un texte écrit en 1998 à Genève, au cours du mouvement d'occupation des locaux commerciaux. Il exprime en quelques paragraphes ce qui pousse ses auteur-e-s à squatter, irrésistiblement... (le texte d'origine n'est pas féminisé, mais l'est ici par les soins de iosk éditions [iosk@inventati.org], qui l'a intégré à une brochure sur le mouvement squat parue été 2003). * * * Pourquoi mine de rien, je veux tout (et aussi squatter les locaux commerciaux) Il y a d'abord l'appel du vide, le désir de faire vivre des murs morts. Puis j'apprends que ces bâtiments sont vides parce qu'ils servent à fabriquer de l'argent. L'appel est encore plus fort. Non seulement je peux me réapproprier un espace vierge et y créer une zone autonome temporaire, une brèche dans le contrôle de la cité, mais en plus je freine les bénéfices improductifs des riches, je casse la valeur financière du bâtiment, sa valeur inventée, sa petite mort, pour lui donner une valeur réelle, à savoir des habitant-e-s. Je nie un monde, celui de la propriété de papier et des chiffres bancaires, et j'en affirme un autre, celui de la propriété d'usage. Pourquoi les propriétaires échangent-illes des billets d'argent contre des titres de propriété ? Pour revendre, rénover et relouer, bref pour obtenir plus de billets d'argent. Le titre de propriété n'est qu'un droit d'exploitation des habitant-e-s: le propriétaire paye pour que la police et les juges protègent son racket. Quand la propriété n'est pas un vol, elle n'a pas besoin de titre de propriété pour la garantir contre la colère des racketté-e-s. Il n'y a là rien de respectable. Le squat est un moyen de lutter contre ce racket organisé. Celui qui squatte nie et désacralise le titre de propriété; il montre que ce dernier n'est pas réel et ne repose que sur notre obéissance. Plus il y a de squatteureuses, plus il devient normal de ne pas reconnaître les titres de propriété. Et si les titres de propriété ne sont plus reconnus, ils n'existent plus. Les gens se rendent compte qu'ils ne sont pas obligés de respecter des accords collectifs qui leur sont antérieurs. Que chacun-e devrait avoir du pouvoir sur ses lois. Il arrive aussi que quelqu'un-e achète un bâtiment pour y vivre. Dans ce cas, ille paye un titre de propriété pour avoir une certaine sécurité dans l'usage du bâtiment. La pratique des squats montre pourtant que la sécurité dans l'usage est réalisable sans titre de propriété, mis à part le fait qu'il y a des propriétaires de pacotille surgi-e-s de nulle part pour réclamer des droits sur des maisons déjà habitées. Les titres de propriété ont comme but de faire du logement une marchandise et d'empêcher que les bâtiments soient gérés par celles et ceux qui y vivent. Si un bâtiment est géré par ses habitant-e-s, celleux-ci ont un pouvoir sur leur habitat, illes ne sont plus dépossédé-e-s de leurs décisions par quelqu'un-e qui a acheté leur autonomie. Illes peuvent décider de la forme de leur maison (avec ou sans cloisons, couleurs, jardins intérieurs, aquarium géant dans la cave, ...) et de son contenu (espaces d'activité, espaces communs, vie collective ou solitaire, ...). Illes peuvent adapter l'architecture à leurs envies (par exemple ne pas vivre collectivement dans un espace minusculement cloisonné). Illes peuvent aussi expérimenter de nouvelles formes d'organisation. Montrer que la réalité officielle n'est pas la seule possible. L' habitant-e doit pouvoir gérer non seulement sa maison, mais aussi sa rue. Il ou elle veut peut-être y planter des palmiers, y élever des yacks ou transformer les voitures en feux de joie. L'habitant-e devrait aussi refuser de vendre son pouvoir de décision dans son travail : son autonomie est devenue une marchandise. Le salaire est un mauvais rapport qualité / prix. Le travail ne doit pas être lié à l'argent. Squatter, c'est aussi ne pas payer de loyer, ne pas travailler pour payer son loyer, ne pas se laisser doublement racketter, avoir de l'espace et du temps pour que le travail ne soit plus l'esclave de l'argent, pour créer un monde sans argent. Le pouvoir refuse qu'on squatte les locaux commerciaux car il craint que les zones d'autonomie des squats se répandent, se renforcent et se banalisent. Il craint que les gens se réapproprient leurs maisons, leur travail et leurs vies. Il a peur que les gens n'aient plus peur. Le pouvoir affirme qu'il a si bien géré la ville de Genève qu'il n'y a plus de bâtiments de logement vides. Que les squats ont servi à révéler le problème de la spéculation et qu'ils n'ont désormais plus de raison d'être. Que les squats refusent leur propre disparition parce que leurs idées anti- spéculatives n'étaient qu'un prétexte pour ne pas payer de loyer et vivre en parasite. Le pouvoir oublie de mentionner que sa gestion n'a fait que déplacer le vide, que la différence entre logement et local commercial appartient à un système qui refuse l'autogestion des bâtiments par leurs habitant-e-s, et que les squatteureuses refusent ce système. Les squats ne refuseront plus de disparaître lorsque la propriété privée marchande sera abolie. Le pouvoir n'a pas compris la portée des idées anti-spéculatives. Il a cru qu'il s'agissait d'une réforme anecdotique alors qu'il s'agissait d'autonomie. Je refuse de vendre mon pouvoir au pouvoir. Je ne veux pas payer de loyer. Je ne veux pas nourrir les parasites qui utilisent nos maisons et nos vies pour se fabriquer de l'argent. Ce n'est pas seulement que je ne veux pas payer de loyer, c'est que je veux que plus personne ne paye de loyer.